Le Bangladesh à vélo du 18 décembre 2014 au 12 février 2015: 2800km
J’ai déjà effectué de nombreux voyages à vélo dans le sous-continent indien, en Inde, au Népal, au Sri Lanka, au Pakistan. Mais je ne m’étais jusqu’alors jamais aventuré au Bangladesh, pays le moins visité du sous-continent. L’an dernier, j’ai renoncé à ce projet à cause des élections qui ont jeté le pays dans une période de troubles, qui, si elle ne rendait pas impossible un voyage, risquait de m’empêcher de l’appréhender dans de bonnes conditions.
Je suis donc parti le 18 décembre 2014 pour 7 semaines, et malheureusement, les troubles ont recommencé pour l’anniversaire des élections de l’an dernier, boycottées par les partis d’opposition. Ça n’a pas pour autant bouleversé mon périple.
Le Bangladesh compte 152 millions d’habitants sur un territoire quatre fois plus petit que la France, soit une densité de plus de 1000ha/km². C’est un pays de rivières (58), dont 10% du territoire est sous le niveau de la mer, avec des terres très fertiles qui lui permettent d’être auto-suffisant en riz, la nourriture principale, mais soumises aux cyclones, inondations, et autres catastrophes naturelles. Avec toutes ces rivières et la mer, la pèche est une activité importante et une source de protéines.
Le Brahmapoutre, nommé Jamuna ici, et le Gange, nommé Padma, venus de l’Inde, forment au sud un immense delta abritant la plus grande mangrove du monde (parc national des Sundarbans), qui abrite encore des tigres du Bengale, mangeurs d'hommes.
Pour un voyageur à vélo, la platitude du relief présente un avantage. Je n’ai eu que quelques collines à parcourir dans la région de Sylhet au nord-est, et dans les Chittagong Hills tracts au sud-est vers la frontière birmane. Les nombreuses rivières obligent à prendre souvent le bateau, surtout dans le sud où j’aurai finalement peu roulé.
récit
Dhaka et le rocket Steamer :
J’ai séjourné 3 fois à Dhaka, au début du voyage, au milieu pour demander une extension de visa qu’ils mettront 3 semaines à m’accorder pendant lesquelles je visiterai le nord, et à la fin. Hébergé à chaque fois par des locaux, classe moyenne et aisée, j’ai pu connaître certains côtés de la vie locale, mais ça ne m’a pas laissé suffisamment de liberté pour bien visiter Dhaka. La ville aux milliers de rickshaws ne se laisse pas facilement dompter à vélo, avec ses avenues souvent complètement bloquées, pas de noms de rue, des locaux ne connaissant souvent que leur quartier.
On commence à y voir des cyclistes, notamment des jeunes, qui n’en peuvent plus des bouchons, et qui forment une communauté de plus en plus importante, voyageant en autonomie dans tout le pays, et même quelques-uns à l’étranger. Certains font partie de la communauté warmshower, peuvent héberger le voyageur à vélo de passage, et se montrent d’une gentillesse extraordinaire et d’une aide précieuse en cas de besoin.
Pour rejoindre Sadarghat, quai d’embarquement sur le Rocket Steamer, j’ai dû traverser le vieux Dhaka, étonnant dédale de ruelles à l’activité débordante.
Les Rocket Steamer sont de vieux bateaux à aube d’une centaine d’année, qui relient presque chaque jour Dhaka à Morelganj au sud, par Barisal et Bagerhat
.
le rocket-steamer
rue de Dhaka avec rickshaws, cng, bus...
Barisal-Sundarbans
J’en descends à Barisal pour emprunter en barque les canaux et rivières des environs à la découverte des multiples activités des villages, poteries, bois, briqueteries, cultures diverses, marchés flottants aux légumes et aux riz…logeant chez l’habitant.
Je reprends le vélo pour rejoindre Bagerhat et ses anciennes mosquées, puis Khulna, d’où partent les bateaux permettant de découvrir les Sundarbans en 2 nuits, 3 jours, dans une bonne ambiance en compagnie de touristes locaux fiers de leur pays.  Le bateau emprunte des rivières naturelles et quelques canaux creusés par l’homme, pour rejoindre la mer  dans le golfe de Bengale, dans un brouillard très dense dès le soir tombé, rendant la navigation dangereuse à cause des risques de collisions. On ne voit que de la forêt partout. Nous mettons parfois pieds à terre pour de petites randonnées malgré la présence du tigre, dont on voit des traces dans le sable, mais qui ne se montre pas, tenu éloigné par le bruit des groupes se succédant sur les sentiers. Par contre, on voit de nombreux cervidés, des oiseaux, des phacochères, des singes…
De retour à Khulna, et après un aller et retour à vélo jusqu’au grand port de Mongla, je roule à nouveau jusqu’à Barisal, et avale dans la journée les 115 km, toujours plats, le plus souvent sous une pluie fine, jusqu’à Kuakata, village à l’immense plage sur la baie de Bengale, un peu décevante sous la pluie, et transformée en une sorte de parc d’attraction comme en raffole les locaux, venus en groupe, se baignant tout habillé.

travail de la noix de coco
marché flottant
Chittagong et les Hill Tracts
De Barisal, c’est à nouveau un de ces immenses bateaux à fond plat adaptés à la navigation en eau peu profonde, qui m’amène jusqu’à proximité de Lakshmipur. De Noakhali, je rejoins dans la journée par une bambée plate de 150 km la deuxième ville du pays, Chittagong. La circulation habituellement dense et dangereuse sur cet axe, a bien diminué avec la grève des transports lancée par les partis d’opposition.
Je passe à proximité des immenses chantiers de désossage de bateaux venus du monde entier, quasi inaccessibles aux touristes, mais dont on peut mesurer l’importance avec tout le matériel récupéré  mis en vente dans de grands enclos en bord de route.
Comme dans toutes les villes, j’éprouve quelques difficultés à me diriger dans cette immense métropole, et les gens très serviables ont parfois du mal à estimer ma  destination, m’envoyant dans des quartiers improbables dont j’ai du mal à m’extirper. Ça m’oblige au moins à les visiter, par ces routes défoncées, mais je me sens toujours en sécurité, tellement les gens sont souriants et chaleureux.
Je finis par arriver dans le quartier de la gare principale qui regroupe les hôtels de classe moyenne, au bon rapport qualité/prix, presque tous équipés du wifi ; Pour ceux qui voyagent avec un budget au ras des pâquerettes, il y a aussi très bon marché, pour 2 ou 3 euros voire moins.
Les grandes artères de la ville sont reliées entre elles par des ruelles abritant les bazars, aux commerces de toutes sortes, regroupés par catégories, alimentaire, textile, chaussures, électroniques…les marchés aux poissons toujours très animés ont plutôt lieu le matin. J’ai du mal à me faufiler dans cette foule impressionnante, active jusque tard le soir.
Pas moyen de trouver de la bière dans ce pays musulman, ou alors il faut aller dans les hôtels de luxe, aux prix exorbitants, il y a aussi des gens très riches au Bangladesh.
Je me procure facilement un permis, et peux rejoindre à vélo les collines de Bandarbans et Rangamati. La région déjà habituellement en proie à des soulèvements des minorités ethniques luttant à armes inégales contre l’accaparement de leurs terres par des gens venus d’autres régions, connait des troubles accentuées par les problèmes politiques, et je me retrouve pris dans des manifestations plutôt turbulentes avec quelques vitrines éclatées dans Rangamati. Mais ça ne se passe que dans le centre et les quartiers périphériques, au bord du lac, restent calmes. La petite route reliant Bandarbans à Rangamati traverse des villages ethniques dans un paysage agréable, vallonné, tantôt boisé, tantôt planté de rizières.

Rangamati
entre Bandarbans et Rangamati
arrivée d'oeufs à Chittagong
Hatiya, Nijum Dwip, Dhaka
Je veux visiter les iles d’Hatiya et Nijum Dwip à l’ouest de Chittagong, et estime ne pas avoir assez de temps avant l’expiration de mon visa d’un mois pour aussi aller jusqu’à Cox Bazar, et surtout l’ile aux récifs coralliens de San Marteen tout au sud, ce que je regrette maintenant, car c’est certainement un des plus beaux endroits de ce pays.
Un bateau partant de Chittagong, longeant le port où sont ancrés d’impressionnant cargos venus du monde entier, Chine, Europe… faisant étape à Sandwip, m’amène jusqu’à l’ile d’Hatiya, où l’accueil laisse à désirer, et où, arrivé de nuit, avec un transfert en barque (où on essaie de me rouler) sur un embarcadère boueux, j’ai bien du mal à me faire emmener en CNG (taxi tricycle à moteur)jusqu’au seul village abritant un modeste hôtel, à une vingtaine de km que je n’ai pas osé parcourir à vélo de nuit, et où les camionnettes collectives ont refusé de me transporter avec mon vélo.
Le lendemain, j’emprunte la petite route menant plein sud en une quarantaine de km, jusqu’à la pointe sud de l’ile. Une moto me serrant de trop près en me dépassant alors qu’on est que tous les deux, m’accroche et je me retrouve allongé sur la route, heureusement que légèrement écorché, et sans dégât sur le vélo.
Je dois porter vélo et sac dans la boue pour rejoindre la barque qui me fait traverser le petit bras de mer jusqu’à la petite ile de Nijum Dwip, l’ile aux daims, qui occupent une grande forêt de bord de mer, où un guide local m’aide à les repérer.
Le lendemain, je crois traverser le bras de mer sur la barque où je suis monté, mais je la vois partir à l’ouest, longer la côte ouest de l’ile direction nord ! Je finis par apprendre qu’on se dirige sur le village de Tomoroli, pas grave, car c’est là où je voulais aller par la route. On y est en 3h30, et un grand ferry à fond plat est là qui part vers 13h pour Dhaka. Je suis bien mal accueilli à l’embarcadère par des types antipathiques. Puis un type sympa parlant un bon Anglais m’aide à trouver le petit bureau de bois où on vend les billets. Plus de cabine, mais on me trouve une « driver’s cabin » inutilisée où je pourrai être tranquille pour les quelques 15 à 16 h de voyage. Le vélo est dans un couloir à côté, un type y attache ses canards ! Un boy vient de temps à autre m’amener thé ou repas.
On fait quelques escales. Je parcours les longues coursives des différents étages. Des jeunes se font prendre en photo avec moi, comme un peu partout, que je sois à pieds, en bateau, ou à vélo.
On arrive à Dhaka à 4h du matin, le long bateau réussissant à se frayer un chemin entre d’autres gros mastodontes pour qu’on puisse débarquer. Le long quai est plein de dizaines de bateaux. J’attends 7h pour débarquer. Je dois retrouver Bari, un prof de l’Alliance Française, qui doit m’héberger à Dhaka pour ce séjour rendu obligatoire pour ma demande d’extension de visa.
Finalement au service d’immigration, on me donne un reçu, et on m’invite à revenir dans 3 semaines,  soit seulement quelques jours avant que je ne quitte le Bangladesh. Les locaux me rassurent en me disant que j’ai un reçu et qu’on ne m’embêtera pas en voyageant visa expiré. De toute façon, je n’ai pas le choix, et quitte à nouveau Dhaka, cette fois par la route en direction du nord, avec la tourista, mais tant que je suis sur la selle du vélo, ça tient !

en route pour l'école sur l'ile d'Hatiya
embarquement pour l'ile de Nijum Dwip
la "launch" de Tomoroli (Hatiya) à Dhaka
on arrive à Dhaka ma poule!
Il me faut une vingtaine de km pour sortir de la zone encombrée de Dhaka, à la circulation dantesque, avec des chauffeurs de bus faisant n’importe quoi. Avec de la discipline, ils résoudraient une partie de leurs problèmes. A chaque croisement, je demande ma route. La pluie de la nuit a rendu le revêtement boueux et noir et mes habits et le vélo sont vraiment sales. Tangail, Natore…Je progresse vite, dans un brouillard dense et la fraicheur le matin. Des ouvriers en pick-up me font traverser le pont de 4 km enjambant la Jamuna, interdit aux vélos.
Entre Natore et Rajshahi, un type me fait visiter le site de Puthia et ses temples du 16ième au 19ième.
A Rajshahi, je rejoins une bande d’étudiants à vélo, qui après une série de photos avec eux encore, me conduisent dans la grande ville où je loge à l’hôtel Parjatan, seul dans l’immense batiment, les touristes se faisant rares à cause des problèmes de transport. J’aime beaucoup cette ville, ses marchés, la longue promenade au-dessus du fleuve. Des familles se sont installées dans des abris de fortune sur les rives asséchées, avec leurs animaux. Les gamins jouent, piaillent.
A plus d’une centaine de km au nord de Rajshahi, j’atteins le site de Paharpur, où les ruines d’un des plus vieux monastères bouddhistes d’Asie du sud-est, s’étendent sur un large plateau herbeux, aux couleurs magnifiques au coucher de soleil. J’y rencontre un touriste japonais, un des rares touristes que je rencontrerai dans le nord. Je dors sur le site à la guest-house, où une femme m’amène diner et petit déjeuner.
Une route secondaire bien agréable, souvent bordée d’arbres, et surélevée au-dessus de rizières où on repique les plants, me conduit jusqu’à Rangpur. A l’entrée de la ville, je m’arrête boire un café et là, alors que je ne me méfiais pas tellement le pays me paraissait sûr, on va me piquer mon appareil photo, probablement le type de la baraque à thé. Adieu photos de Rajshahi et Paharpur. Heureusement, le reste était sauvegardé sur une clef USB.
Je trouve au nord de la ville l’excellente guest-house RDRS géré par une ONG, peut-être le meilleur hébergement que j’aie trouvé au Bangladesh. Je fais quelques rencontres en visitant les sites de la ville, palais, temple hindou, marchés. Je rachète un appareil photo.
Direction sud maintenant pour visiter un autre site historique : Mahastangarh, à une centaine de km. Les ruines des remparts de la citadelle, seules ruines de la plus vieille ville du Bangladesh datant du 3ième siècle, s’étendent sur 7 km, encore en cours de restauration, entourant des maraichages et vergers. Un musée, et un temple hindou du 6ième siècle, le Govinda, surplombant la rivière, bordent la modeste guest-house où je peux dormir tranquille. Un couple s'occupe de moi pour le diner et le petit déjeuner.
Sur une grande place du proche village s’étant un immense marché de gros de pommes de terre, et où quelques paysans en profitent pour vendre leurs volailles. On me laisse comme toujours prendre des photos, ça semble même leur faire plaisir et les amuser.

vers Rangpur
travail collectif
convoi matinal vers Mahastangarh
jeunes locaux
Le Nord-ouest: Dhaka/Rangpur/Bogra
Le nord-est: Mymensingh/Haor/Sylhet/Comilla
Je rejoins Bogra un peu plus au sud, et il me faut à nouveau
traverser le large fleuve Jamuna (Brahmapoutre). Il y aurait un
ferry depuis Shariakandi, village à l’est de Bogra. En fait arrivé
là, les locaux me dirigent de village en en village, puis des
gamins à vélo, comprenant que je ne pourrai trouver seul, me
prennent en charge, et par un étroit chemin de terre, me
conduisent au bord du fleuve. Pas de ferry, mais un type
accepte de me faire traverser sur sa grosse barque de bois,
pour 600 takas (6€), 1h30 en zigzagant entre des iles sableuses
où de grands troupeaux paissent une herbe rase et rare. Il me
dépose sur l’autre rive, j’emprunte un long chemin sableux où
je dois parfois tirer le vélo, passant devant des maisonnettes
isolées, des champs de légumes, pour enfin atteindre
Madarganj d’où un bon goudron sur une belle petite route
bordée d’arbres m’amène à la ville de Jamalpur. Mymensingh
est une autre grosse ville agitée, encombrée de rickshaws et
CNG, certains électriques comme dans pas mal de villes du
Bangladesh. Ça pollue moins mais ça consomme de l’électricité.
Pour rejoindre Sylhet et les collines plantées de thé vers
Srimongol, au nord-est du pays, il me faut soit traverser la
région humide de l’Haor, le « trou », sous l’eau une bonne
partie de l’année et aux pistes improbables, soit redescendre
sur Dhaka pour remonter ensuite. Je tente l’Haor, rejoins
Mohanganj, puis Joy Osri, où, alors que je m’apprête à
traverser la rivière en barque, des policiers m’avertissent que
c’est inutile, que je ne pourrai rejoindre à vélo la ville de
Sunamganj de l’autre côté de l’Haor, faute de piste praticable.
Mais un bateau est en partance pour Sunamganj que je pourrai
rejoindre en 6h, de village en village, empruntant deux rivières,
dont la Shurma descendue du Meghalaya. Je séjourne à Sylhet,
ville bien agréable, fais un saut jusqu’à Jaflong à la frontière
indienne d’où j’aperçois les collines du Meghalaya, d’où
j’apercevais la plaine du Bangladesh il y a quelques années !
Je rayonne ensuite autour de Srimongol et ses modestes
collines, à pieds dans le parc de Lowacherra, à vélo dans les
plantations de thé, goûte au fameux 7 layers tea, le thé aux 7
couches de couleurs différentes, crée par un local, beau mais
sans goût extraordinaire .
A Comilla, après un bout de route exécrable depuis
Brahmanbaria, je visite le cimetière militaire et les ruines
bouddhistes de Mainimati, avant de rejoindre Dhaka. Encore
une fois, la route habituellement très fréquentée n’est pas trop
encombrée, mais dès l’arrivée à proximité de Dhaka, j’ai bien du
mal à me faufiler entre tous ces véhicules de toutes sortes,
rickshaws, CNG, bus, chariots tirés par des hommes, et à
retrouver mon chemin jusqu’au quartier de Mohammadpur où
Iqbal, un homme d’affaires, m’héberge dans un luxueux
appartement.

piste de l'Haor
sur le pont anglais de Sylhet
thé aux 7 couches