Resolute Bay carrefour de l'aventure
Le pôle nord en ULM
Pendant l'hiver 1986/87, alors que j'étais inspecteur à la poste, je suis informé de la volonté de l'entreprise de recruter un postier pour accompagner l'expédition du pôle nord en ULM, de Nicolas Hulot et Hubert de Chevigny, qu'elle soutient financièrement.
J'étais en pleine préparation d'une traversée de La Laponie à ski en autonomie pour l'hiver 1988, et je m'étais déjà bien renseigné sur tous les problèmes liés au froid extrême. Mes recherches m'avaient aussi permis de découvrir les récits extraordinaires des pionniers de l'aventure polaire du début du siècle, Scott, Amundsen, Peary, Nanssen...Ce qui m'a donné une longueur d'avance sur la vingtaine d'autres candidats.
J'ai finalement été choisi par l'équipe communication du ministère, et enfin par Nicolas Hulot.
Après une nuit à Montréal, accompagné de Gaédic Piron et Marc Faivre, lauréats d'un concours de La Jeunesse et des Sports, nous nous envolons de l'aéroport de Dorval le 10 avril 1987. Tous les 3 avons les yeux collés au hublot, fascinés par le paysage, lacs gelés, neige, banquise...
Montreal
ours polaire
De +25°C à Montréal, nous arrivons de nuit à Résolute Bay par -38°C, accueillis par les autres membres de l'équipe déjà sur place, Nicolas et Hubert, et Gérard Beauquel, l'opérateur radio, Pierre Lenormand et Thierry Reverchon, les logisticiens. Résolute Bay se trouve sur l’île Cornwallis dans le territoire canadien du Nunavut, par 74° de latitude nord.
Nous sommes logés au Narwhal, hangar/hôtel dans la zone de l'aéroport.
La poste m'a confié une bonne caméra vidéo, m'a donné avant le départ quelques rudiments de journalisme, je devrai tout au long de l'aventure envoyer images et récits à la revue interne de la poste  : «  forum  », pour informer mes collègues postiers.
Nicolas me charge en outre d'aider l’opérateur radio.
Les premières journées sont essentiellement consacrées au montage des ULM arrivés ici en pièces détachées. Très débrouillard, Gaédic s'avère un auxiliaire précieux pour Thierry et Pierre qui dirigent les opérations. Parlant couramment l'Anglais, Marc aide Pierre à traduire les bulletins météo fournis par la base militaire canadienne. Nicolas et Hubert chapeautent les opérations.
Nous avons la visite de James Lovell, astronaute américain des missions Apollo 8 et 13, venu ici tester des vêtements pour l'armée américaine.
l'avid flyer en pièces détachées
En 2 ou 3 jours, les appareils, un Mistral et un Avid Flyer, peuvent être sortis, et nos assistons aux premiers décollage et vols d'essai, qui vont permettre d'affiner la préparation des ULM. Gérard Beauquel est très affairé à l'équipement du matériel UHF et VHF.
Petit à petit, les problèmes se règlent, et nous pouvons visiter le village inuit situés à 5 km de notre base  . Le narwhal nous prête un pick-up, qu'il nous faut brancher à chaque arrêt, sous peine de rester en rade.
Le village est un village assez nouveau construit de maisonnettes de bois bien isolées, pour héberger les familles inuits amenées ici pour travailler sur la base militaire. Les skidoos ont remplacés les chiens de traîneaux. L'école compte une trentaine d'élèves, inuits ou enfants de militaires. Une supérette ravitaillée 2 fois par semaine par avion pour les produits frais, et par bateau en août au dégel pour le reste, permet à la communauté de vivre bien.
l'avid flyer dehors
le mistral dehors
le village de Resolute Bay
moto-neige
Les nombreuses expéditions sportives ou scientifiques donnent du travail aux inuits.
Le soir au Narwhal, les discussions vont bon train, nous découvrons peu à peu nos coéquipiers. Pierre Lenormand est un navigateur, d'où ses compétences précieuses en météo, qui a gagné la route du rhum en monocoque. Il peut aussi piloter un ULM. Thierry Reverchon, est un spécialiste des grands raids africains comme le Dakar, auquel il a participé comme concurrent en camion, puis comme logisticien.
Jean-Louis Etienne est arrivé avec des jeunes qu'il est chargé d'emmener au pôle nord magnétique.
Un Japonais, Shinzy Kazama, est en route pour le pôle nord géographique avec une moto Yamaha équipée de clous, aidé par des inuits en motoneige. Nous avons quelques contacts radio avec lui, et nous assistons à son retour après sa réussite.
Paul Émile Victor arrive le 14 avril. Il est chargé des relations presse, habitué au contact des médias. Il peut aussi donner beaucoup de conseils aux pilotes, sur la gestion par exemple des rations alimentaires en cas de crise. Il arrive légèrement blessé à une côte suite à un brusque coup de frein d'un chauffeur de bus à l'aéroport de Los Angelès. Malgré la douleur, il se montrera très affable, et nous racontera beaucoup d'anecdotes survenues au cours de sa vie d'aventurier polaire.
Une équipe de télé canadienne a été recrutée par Nicolas pour réaliser un montage vidéo de l'expédition. Ils ont un hélicoptère pour les images en vol.
Paul Emile Victor
Nicolas Hulot
Thierry
Reverchon
Shinzy khazama
Quand le blizzard se met à souffler, on ne peut rester longtemps dehors, malgré notre équipement performant. Je visite fréquemment le petit bureau de poste où officient Marcella Levesque, une Québécoise, et Hägär, son employé inuit. Elle me confie volontiers ses tampons pour mes opérations philatéliques.
Les préparatifs s'accélèrent et on sent que le départ approche. Il faut anticiper sur les ravitaillemnts en carburant dés maintenant, à Eurêka et au-delà. Les logisticiens s'en occupent. Gérard Beauquel est très affairés avec les réglages radio.
Toute l'équipe est là le 20 avril à 12h40 pour le départ des ULM pour Eurêka, filmé par l'équipe de télé canadienne en hélicoptère.
Puis c'est le calme plat. Nous suivons la progression des appareils au pc radio.
L'arrivée à Eurêka se précise, et j'ai la chance de pouvoir les y rejoindre avec un twin otter affrété par la télé canadienne. Nous apercevons sous nous, sur l'île toute blanche d'Ellesmère, des bœufs musqués, que le bruit du twin Otter fait fuir, des masses impressionnantes. Me voici à Eurêka pas 80° de latitude nord où les ULM viennent d'arriver. Nicolas et Hubert sont ravis de cette première étape au-dessus de relief provoquant des turbulences.
Nous assistons à une parhélie, le soleil se reflète sur les cristaux de glace en suspension dans l'air, et on voit 3 soleils.
Gerard Beauquel
Parhelie à Eureka
Marcella Levesque la postière
les ULM à Eureka
De retour à Résolute à 2h du matin, il fait -1°C dans la chambre  !
Panne moteur à Résolute sur l'Avid Flyer, branle bas de combat  ; Et les ailes du mistral, de nouveau trouées, doivent être renforcées. Ça retarde le départ vers le pôle.
J'accompagne PEV à la poste, il rend service à de nombreux philatélistes.
Nous trouvons un peu de temps pour partir à ski sur la banquise sous le soleil de minuit. Des scientifiques étudient la glace, en découpant des plaques à l'aide d'une tronçonneuse à la lame d'1m50. Ils sont équipés d'un fusil pour effrayer les ours polaires.
Nous sommes là pour assister au retour du motard japonais Shinzi Kazama, et ses aides inuit, récupérés au pôle par le twin Otter de la compagnie Bradley.
Un des assistants du japonais connaît toutes les aventures de Paul Émile Victor, il a traversé le Groenland en passant par le village où a hiberné PEV, qui n'en revient pas.
Nous supportons assez souvent des périodes de blizzard, il faut éviter de sortir.
A 16h20 le 25 avril, les ULM peuvent enfin décoller d'Euréka.
Ils nous communiquent régulièrement leur position, la météo se dégrade, pas question d'attaquer la banquise et ils se posent à Cape Woods, par 82 12° nord, par -30°C.
Je rencontre à Résolute Dick Smith, homme d'affaires australien, qui vient d'arriver ici en hélicoptère, bien décidé lui aussi à atteindre le pôle nord.
Le 27 avril, les ulm sont toujours au sol à Cape Woods, mais Pierre ramène du service météo des bonnes nouvelles  : beau temps de Cape Woods au pôle, mais ça peut se dégrader dans les 36 à 48h.
Thierry négocie la récupération au pôle par un dc3 de la Bradley, s'ils réussissent.
Le décollage sera très délicat sur cette neige et une piste préparée courte.
des scientifiques étudient la banquise
l'hélicoptère de Dick Smith
A Résolute, PEV vient de faire une extraordinaire rencontre  : Wally Herbert vient d'arriver au Narwhal  ! C'est un écrivain aventurier anglais qui a traversé en 1968/69, avec 3 compagnons et des chiens de traîneaux, tout l'arctique en passant par le pôle, 60000 km en 16 mois avec un hivernage, de la pointe Barrow en Alaska jusqu'au Spitzberg, une des plus grandes aventures de tous les temps.
Pour décoller, les ULM doivent être allégés au maximum, ils ne gardent donc assez d'essence que pour aller jusqu'à Ward Hunt Island, où ils pourront être ravitaillés, et où le décollage devrait être plus facile.
Décollage de Résolute Bay réussi à 8h30 le 28 avril.
Dick Smith, qui va plus vite avec son hélicoptère, a déjà atteint le pôle et retrouve les ulm à Ward Hunt., où le twin otter a pu les ravitailler.
Un milliardaire américain est arrivé à Résolute avec son DC8 et son pilote privé. Il est stationné dans un grand hangar. L'appareil a été transformé en appartement de luxe tout en teck. Le type est assis dans un fauteuil au pied de l'appareil.
Nous apprenons par la radio, que deux américaines, partis en traîneaux avec des chiens au pôle nord magnétiques, ont été visitées par une femelle ourse. Elles ont tiré 4 coups de fusils en l'air, sans résultat. L'ourse non agressive est restée 2 heures a endommagé duvets et tente, la nourriture des chiens, puis est repartie. J'aurai la chance d'interviewer Pamela à son retour.
La météo se dégage à nouveau dans la région du pôle, il leur reste 800km. Décollage au petit matin du 30 avril, pour enfin attaquer la banquise. Hubert navigue au soleil, ils sont hors créneaux gps. La visibilité diminue et ils doivent se poser aux environs de 85° nord.
Wally Herbert
Kate et ses chiens
Pour décompresser, je pars seul à ski sur la banquise, je sue à grosses gouttes, il ne faut surtout pas que je m'arrête, il fait -25°C. Je visite un iceberg en forme de cachalot, et je rentre manger.
L'équipe de Jean-Louis Étienne s'apprête à partir avec mes compagnons Marc et Gaédic.
La nuit sera tranquille, le blizzard empêche les ULM de faire toute tentative, et tout le mode peut dormir.
PEV conseille aux pilotes de commencer à se rationner sur la nourriture, au cas où le mauvais temps durerait.
Le soleil ne se couche plus depuis quelques jours déjà, il descend sur l'horizon, puis lentement, remonte.
Le 3 mai à 20h, la météo est bonne, ils décollent enfin, le GPS marche, ils ont 5h d'essence. A minuit 10, ils sont à 88°nord. Ils se posent à 89°nord  : Nicolas n'a plus qu'1 litre d'essence et Hubert 34 litres. Ils transvasent. A 9h50 le 4  mai, la voie d'Hubert parvient très faiblement  : «  posés pôle nord, posés pôle nord...  » Ouf  !
Champagne au pc, mais californien, offert par Gordon, le proprio.
Intervention dans les médias, je suis interviewé par RTL Tahiti, puis par Jacques Pradel sur inter.
La récupération au pôle s'organise, il faut que les ULM redécollent pour trouver un endroit où le DC3 peut se poser, et décoller. Paul Emile Victor sera dedans, et foulera le pôle nord pour la première fois.
Twin Otter, DC3, et ULM, vont se retrouver au même endroit. Tout le monde s'y met pour démonter et charger les ULM, en moins de 4 h pour des problèmes d'autonomie. Après une escale à Euréka, c'est le retour à Résolute, Nicolas et Hubert sont sales et pas rasés, mais radieux, tout le monde rayonne de bonheur.

crédit photo: Nicolas Hulot Hubert de Chevigny
"posés pôle nord...posés pôle nord...posés..."
Nicolas et Hubert de retour à Résolute Bay, posent avec Pamela et Kate
retour des ulm du pôle en DC3
Nicolas et Hubert au pôle nord géographique
Cornwallis Island
Résolute Bay